Au milieu de nulle part

Lorsque la peur est transformée en bois de chauffage

Cela arriva il y a environ 10 ans dans la région sud-est du Nigéria. Brusquement, sans préavis, les autorités nous retirèrent la permission accordée précédemment d’utiliser un emplacement très renommé pour notre campagne d’évangélisation. En échange, ils nous donnèrent un endroit perdu - quelque part au milieu de nulle part. Néanmoins, l’équipe CfaN décida de relever ce défi spécial en faisant confiance au Seigneur.

Lorsque nos camions arrivèrent sur l’emplacement, John Darku vint à notre rencontre avec une petite équipe locale qu’il avait recrutée lui-même. Comme le demande tout terrain approprié pour un événement de cette envergure, il s’agissait d’une clairière partielle qui ressemblait un peu à un amphithéâtre naturel sur les berges d’une rivière. Tout ce dont nous avions besoin pour monter la plate-forme, les générateurs, les caméras, et les tours du son et de lumière, était de débarrasser le terrain de toutes les broussailles et de quelques arbres restants.

Nous n’avions pas vu de grandes villes à moins de 80 km. Aucun membre de mon équipe n’avait jamais entendu parler de cet endroit qui ne figurait d’ailleurs sur aucune carte. 

« John, nous faudra-t-il attirer une foule jusqu’ici ? »

« Ils viendront. Regarde, il y a déjà des curieux ».

Je regardai autour de moi. C’était vrai, des douzaines de personnes nous épiaient timidement sous les arbres. Beaucoup d’entre eux n’avaient sans doute jamais vu un blanc. La plupart d’entre eux ne s’étaient jamais aventurés au-delà de leur zone de culture, de chasse et de troc avec leurs voisins. 

« Il y en a encore beaucoup plus dans les environs », dit John. « Ils répandront la nouvelle. Nous avons fait de la publicité dans toute la région et nous transmettons l’info du nouvel endroit de la campagne à la radio. Crois-moi, ils rempliront ce terrain. Tu verras ».  

John ne nous avait jamais induit en erreur jusque-là. Mais dans ce cas-là, j’avais de sérieux doutes.  

Après avoir arpenté le terrain en plein air et avoir évalué le travail à faire, je réalisai les deux raisons pour lesquelles le gouvernement nous avait accordé ce lieu. Premièrement, une maison de docteur-sorcier se trouvait au centre de l’endroit où la foule se tiendrait et deuxièmement, un arbre sacré, ancestral, se trouvait au meilleur endroit qui convenait pour la plate-forme. Les gens racontaient que l’énorme arbre noueux avait grandi sur ce terrain pendant des siècles. Je pouvais bien le croire. J’admirai cette merveille de la nature mais émerveillement et vénération sont deux choses complètement différentes. 

Des gens locaux avaient par ailleurs placé des dizaines de petits fétiches et des sacrifices tout autour du tronc par terre, dans l’espoir d’apaiser les esprits dans l’arbre.

« Que vas-tu faire maintenant ? » demanda John.

« Commençons par rencontrer le docteur-sorcier », répondis-je.

Nous avons emmené un interprète et nous sommes approchés de sa maison. C’était une case en boue et entrelacs avec un toit de chaume qui se trouvait dans un regroupement d’arbustes sauvages. Il n’y avait pas de porte, et l’entrée était si petite qu’il fallait se baisser très bas pour pouvoir y entrer. L’intérieur était plongé dans l’obscurité à l’exception d’une petite flamme de lampe à pétrole. L’air qui s’émanait de la case avait une odeur étrange d’herbes et de viande pourrie. Je connaissais l’explication de cette odeur. Beaucoup de fétiches étaient faits de morceaux d’animaux mélangés et attachés à des racines, à des os et à des gourdes.

Par l’intermédiaire de l’interprète, je demandai au docteur-sorcier s’il pouvait imaginer déplacer sa maison pour notre campagne. La réponse fut non. Il expliqua que son grand-père avait commencé ces pratiques près de cet arbre sacré et que le terrain appartenait aux esprits. Nous n’étions pas les bienvenus et nous devrions chercher un autre terrain. Il ne sortit jamais de la maison pour me parler. 

Honnêtement, je m’étais attendu à cette réponse. Le docteur-sorcier se sentait sûrement menacé par une puissance spirituelle et il savait qu’elle était hostile à tout ce qu’il pratiquait. Mais bien plus, nous étions en train d’envahir le cœur de sa puissance, qui avait été érigée ici pendant des siècles - le terrain avec l’arbre sacré. En déchargeant le matériel, nous avions remarqué que le docteur-sorcier et certains de ses assistants se faufilaient çà et là sur le terrain. Un ouvrier local nous dit qu’ils enterraient des fétiches de sorcellerie en vue d’interrompre nos réunions. 

Je décidai que l’endroit le plus stratégique pour la plate-forme de la campagne serait devant l’arbre sacré en face de la maison du docteur-sorcier. Nous avons mis en marche nos tronçonneuses et avons coupé les petits arbres qui obstruaient notre position. Ce bruit attira encore plus de curieux, de badauds et les habitants locaux qui voulaient utiliser ce que nous avions coupé pour faire du feu. Par politesse, je fis savoir au docteur-sorcier que nous allions monter la plate-forme à 12 mètres de son arbre sacré. 

Une fois la tâche accomplie, Boafo et l’équipe installèrent le camp. Nous nous sommes assis autour d’un feu de camp et nous avons écouté de la musique de louange et d’adoration diffusée dans les haut-parleurs du camion, puis nous nous sommes retirés pour dormir.

Le lendemain, je me suis réveillé rafraichi et je sentis l’odeur du pain en train d’être cuit et de la pastèque coupée. Comme d’habitude, je sautai du camion pour rejoindre mes hommes autour du feu pour le petit-déjeuner.

« As-tu entendu le fracas cette nuit ? » demanda Boafo.

« Non ».

Les hommes se mirent à rire. Ma capacité de dormir en plein Armageddon était devenue une blague entre nous. Boafo montra quelque chose derrière moi. Je me retournai et je restai bouche-bée. L’arbre sacré qui avait été là pendant des siècles s’était écroulé pendant la nuit. Une catastrophe ! Son tronc s’était divisé du haut en bas par une force incroyable et plusieurs tonnes de bois jonchaient là, laissant juste une souche avec quelques branches déchiquetées là où l’arbre était encore debout, quelques heures auparavant.

« As-tu vu comment il est tombé ? » demanda Boafo. « S’il était tombé sur la plate-forme, il l’aurait écrasée en mille morceaux. Il est tombé dans l’autre direction ». 

Je me retournai. « Les gars, c’est vraiment la main de Dieu à l’œuvre. Il met les puissances spirituelles qui ont dominé ces gens sens dessus dessous. Pensez-y donc. Quelles sont les chances pour qu’un arbre vénéré pendant des siècles tombe exactement le jour où nous commençons à monter le matériel pour l’évangélisation ? Aucune ».

« Oui », ajouta Boafo, « et nous ne devions pas être là, jusqu’au moment où ils ont annulé l’endroit précédent ». 

Kwesi dit : « Quelque chose de bon se prépare ici ». 

En m’approchant de l’arbre pour l’inspecter, je vis que le terrain entier était maintenant entouré d’habitants de la forêt curieux qui avaient entendu parler de la catastrophe. Un homme local de notre équipe m’avertit que la colère montait et qu’ils croyaient que nous avions abattu l’arbre avec nos tronçonneuses puissantes. En fait, ils avaient entendu le bruit de nos tronçonneuses le jour précédent lorsque nous avions coupé les petits arbres près de la plate-forme. Il n’était pas étonnant que les gens pensent que nous nous étions attaqués à l’arbre sacré. 

C’était incroyable ! Je vis un grand nombre de téléphones portables parmi ces habitants de la forêt. Comme les temps avaient changé, même dans cette région reculée. Les gens appelaient sur leurs portables et la nouvelle se répandit comme un feu de forêt. Je savais que la situation pouvait devenir violente si je ne procédais pas avec la plus grande prudence. Alors, j’envoyai l’une des Land Rovers dans la ville la plus proche pour chercher des représentants du gouvernement qui confirmeraient la vérité. Nous n’avions pas coupé l’arbre et je voulais qu’un rapport officiel le confirme. 

Entre-temps, j’avais embauché un conducteur local de bulldozer pour dégager les broussailles et les arbres du terrain. Je l’avais envoyé pour commencer tout au bout du terrain tout près de la rivière. Le défrichement du terrain prendrait au moins deux jours. Je vis environ une demi-douzaine de grands palmiers sur la parcelle, et je donnai les instructions à l’opérateur de dégager la terre autour d’eux et de les laisser tel quels. Leurs troncs n’empêcheraient pas la foule de voir la plate-forme et ils avaient une allure élégante avec leurs cimes pointées vers le ciel. 

Vers le milieu de l’après-midi, le représentant officiel de l’État arriva en Mercedes noire. Il avait des lunettes de soleil noires et portait un costume trois-pièces. Je lui montrai comment l’arbre était tombé de lui-même. Il était d’accord avec nous que le fait était indéniable. Aucune trace de tronçonneuse sur le tronc n’était visible. Je demandai au fonctionnaire s’il pouvait désamorcer la bombe à retardement et confirmer les faits au docteur-sorcier qui vivait de cet arbre.

« Regardez autour de la clairière, Monsieur. Ces gens ont vécu pendant des générations sous l’influence de ce sorcier. S’ils croient que nous avons abattu l’arbre sacré, nous serons en grand danger ».

L’officier approuva et nous nous sommes rendus en voiture sur le terrain maintenant dégagé vers la maison du docteur-sorcier. Devant l’entrée, nous l’avons appelé, mais personne ne répondit. Les habitants de la forêt se rassemblèrent encore plus près de nous, observant tout ce nous faisions. Boafo me tendit l’une de nos grandes lampes de poche et je la donnai à l’officier. Il l’alluma et enleva ses lunettes de soleil, se baissa et rampa dans la case. Quelques minutes plus tard, il sortit et me redonna la lampe de poche en nettoyant de sa main le tissu de son élégant costume noir.

« J’enverrai une ambulance pour le sortir de là ».

« Il est malade ? »

« Non, il est mort ».

Je sentis comme une vague d’étonnement déferler sur moi. Ma prochaine pensée fut que les gens non seulement croiraient que nous avions coupé l’arbre mais que probablement nous avions également tué le docteur-sorcier.

« Y a-t-il du sang sur son corps ? S’est-il suicidé ? »

« Je ne vois aucune preuve suspecte, mais je ne suis pas un expert dans la question. Il est couché simplement sur sa natte, rigide et mort. Je pense qu’il est mort dans son sommeil ».

Ma préoccupation était maintenant la sécurité de la campagne d’évangélisation à venir. « Pourriez-vous faire une annonce à ces gens pour qu’ils comprennent qu’il est mort d’une mort naturelle ? S’il vous plaît, faites-leur savoir que nous n’avons rien à faire avec cela. Vous pouvez vraiment nous aider ici ».

Il acquiesça. Il rassembla un groupe de curieux et expliqua dans leur langue locale ce qu’il avait observé dans l’arbre et dans la hutte du docteur-sorcier. Les gens semblaient profondément choqués par la nouvelle ; ce qui était compréhensible. Je priai pour davantage de sagesse pour gérer leurs émotions.

« Monsieur », demandai-je, « y a-t-il ici un chef tribal qui règne sur ces gens ? » 

« Oui. Il règne depuis un autre village qui se trouve à quelques kilomètres d’ici ».  

« Pourriez-vous s’il vous plaît aller le voir sur votre chemin du retour et lui demander de venir et de voir ce qui est arrivé ici ? Ces gens ont besoin de quelqu’un en qui ils ont confiance pour leur dire toute la vérité. Ils ne nous croiront pas. »

« Je m’arrêterai chez lui sur mon chemin de retour vers le bureau ».

Tard dans la journée, la plupart du terrain était dégagé. Une foule étonnante d’environ 20 000 personnes entourait maintenant le terrain et observait tout ce que nous faisions. Certains montaient des camps de fortune pour rester ici pendant des jours et être les témoins de l’épreuve de force à venir. Pour eux, ce conflit équivalait à une Coupe du Monde spirituelle. 

Une ambulance roula sur le terrain jusqu’à la hutte et le cadavre du docteur-sorcier fut placé sur une civière. Les ambulanciers ne se soucièrent pas de couvrir le corps d’un drap et plusieurs spectateurs s’approchèrent pour voir par eux-mêmes. J’étais reconnaissant pour ce développement des choses car je voulais qu’ils voient eux-mêmes qu’il n’était mort d’aucune forme de violence quelconque. 

Pendant le chargement de la civière dans l’ambulance, un homme porté par quatre esclaves sur un trône, sous une ombrelle, sortit de la forêt. Il s’agissait manifestement du roi tribal. Il avait sur la tête une coiffe ornée de défenses en ivoire et de coquillages, ainsi que deux colliers lourds en ocre et en ivoire. Il portait une tunique en mousseline noire richement ajourée de broderies et de galons verts et dorés. Quatre femmes le suivaient, habillées de filets couleur ocre qui drapaient leurs têtes et leurs épaules. Je présumai qu’il s’agissait de femmes ou de concubines. 

La chaise fut déposée avec soin à côté de l’ambulance. Le roi se leva et les quatre esclaves se prosternèrent jusque dans la poussière et les femmes se courbèrent sur un genou le visage incliné vers la terre. Le roi s’approcha lentement pour inspecter le corps. Il échangea quelques mots avec les ambulanciers puis se rassit sur sa chaise.

Les quatre esclaves se relevèrent du sol et hissèrent la chaise sur leurs épaules. La procession se dirigea vers l’arbre sacré, où là, à nouveau, le même rituel se répéta. Pendant que le roi inspectait l’immense tronc, j’étais reconnaissant de voir quelques portables parmi les habitants de la forêt. Je supposai qu’ils envoyaient des comptes-rendus de cet acte. Après l’inspection, le roi et ses serviteurs disparurent dans la forêt. J’espérais qu’il avait conclu que nous n’étions pas les acteurs de ce scénario.  

Je me tenais sur la plate-forme qui surplombait le terrain où les gens se tiendraient. J’estimai que nous pouvions accueillir peut-être 250 000 personnes sur le terrain tel qu’il était maintenant. Nous avions besoin de plus de place, et cet espace nécessaire se trouvait entre la maison du docteur-sorcier et la rivière. Les feux de camps qui brûlaient partout sur le terrain, et la multitude d’yeux qui m’observaient, me laissèrent penser que ma prochaine décision affecterait une culture toute entière. J’avais l’impression que toute la terre tournait autour de ce terrain.

Le lendemain, Boafo et moi-même, nous avons pris la Land Rover et nous nous sommes rendus chez l’officier de l’État, dans son bureau, à environ 75 kilomètres de là. Je lui demandai si le docteur-sorcier avait un droit légitime sur les terres sur lesquelles était sa maison. La réponse fut négative. Lui et ses ancêtres avaient été des squatteurs qui ne s’étaient pliés à aucune règle autre que les leurs. Les lois foncières retrouvaient leur sens entre la tribu et l’État. Mais aussi bien l’État que la tribu avaient été limités par l’asservissement qui régnait entre les habitants et le docteur-sorcier. Il dit que nous avions le droit légal de défricher le terrain dans son intégralité. Je le remerciai et retournai à la tâche, certain de mon droit. C’était un combat qui était déjà gagné. Il était temps d’aller de l’avant sur les cendres de cette victoire. 

Mon conducteur de bulldozer était sur le terrain en train d’aplanir la terre qu’il avait enlevé avec sa lame. Il tassait le sol pour le rendre sûr pour les piétons. Je me rendis en voiture jusqu’à sa machine et il descendit pour me parler. 

« J’aimerais que vous poussiez la maison du docteur-sorcier jusque dans la rivière ». 

L’homme se figea de peur. « Je serai tué par les esprits ». 

« Non, non, pas du tout. Nous représentons ici Jésus. Nous prêchons le Salut par Lui ; c’est Lui qui vous délivre de toute la puissance du diable et de ses chétifs petits esprits démoniaques. L’arbre est tombé, le docteur-sorcier est mort. Vous n’avez rien à craindre. Vous pouvez sans crainte faire ce que je vous demande de faire ».  

Mais il était rempli de peur. Il secoua la tête et s’en alla, en croisant résolument les bras. Je le suivis : « Okay, j’ai une autre idée. Nous allons placer la niveleuse avec la lame dirigée vers le bas devant la maison. Vous la mettrez en marche. Puis vous sauterez ensuite de l’engin et vous laisserez le bulldozer faire le travail de dégager la résidence ».

« Vous ne comprenez pas. Moi, je vis de cette niveleuse. Le docteur-sorcier a dit qu’elle s’enflammerait si nous entreprenions quelque chose contre lui ».

« C’est une absurdité. La seule force que le docteur-sorcier n’ait jamais eue est la puissance de vous faire avoir peur de lui. Votre niveleuse ne s’enflammera pas ».

Il secoua la tête avec résolution. « Je ne peux pas risquer de faire ceci ».

« Très bien », dis-je. « C’est moi qui vais prendre le risque. Je vous achèterai une nouvelle niveleuse si elle explose, se casse ou si quelque chose de terrible arrive ».

Il me regarda et regarda à nouveau sa très vieille niveleuse. Je pouvais voir ses méninges tourner à toute vitesse. Il pourrait obtenir une nouvelle niveleuse par ce marché. « D’accord, je la mettrai en marche et sauterai si vous m’achetez une nouvelle machine ».

« D’accord ».

En préparant la niveleuse, je levai les yeux et ne pus en croire mes yeux. La foule tout autour du terrain comptait maintenant environ 30 000 personnes. Ils étaient là debout et s’approchèrent, serrés les uns contre les autres sur plusieurs rangées, pour nous regarder. Je priai silencieusement que Dieu ouvre leurs yeux à la vérité de la victoire de Dieu sur Satan.

Lorsque la niveleuse percuta la maison, elle s’écroula dans un nuage terrible de poussière à suffoquer. Je vis sursauter les gens dans la foule, craignant que la terre ne s’ouvre sous leurs pieds et n’engloutisse le terrain entier, ou que l’engin ne prenne feu. Mais rien de tout cela ne se produisit. La machine continua de rouler vers la rivière.

« Vous feriez mieux de rattraper cette machine », dis-je à l’opérateur. « Je ne vous la remplacerai pas si vous la laissez tomber dans la rivière ».

Le conducteur se mit à courir sur le terrain pour rattraper la machine qui se mouvait lentement. Alors qu’il s’éloignait, une vue étonnante commença à immerger du nuage de poussière. Le sol sous la maison du docteur-sorcier était maintenant parsemé de crânes humains et d’os et d’un coffre rempli d’argent. Une véritable fortune de pirate était exposée à même le sol parmi des restes humains. Le salaire de la peur et de la superstition.

J’observai la foule pour voir si quelqu’un irait récupérer un morceau de son âme dans ce trou d’argent sale. Pas un habitant de la forêt fit mine de bouger pour prendre l’argent ainsi exposé. Un de mes hommes locaux de l’équipe me dit que le docteur-sorcier leur avait dit que son argent prendrait feu dans la poche de celui qui le lui volerait. J’étais étonné de voir que même après cette démonstration de force, ces gens étaient toujours encore liés par la peur et la superstition. 

Le soleil se coucha, et je décidai de laisser tout l’argent et les os exposés à ciel ouvert cette nuit-là. Peut-être qu’un des locaux serait assez audacieux pour récupérer quelques billets et pièces sous le couvert de la nuit. Le lendemain, tout l’argent et l’attirail semblaient intacts, comme nous les avions vus le soir auparavant.

Je dis au conducteur de creuser un trou au centre du terrain et d’y enterrer les crânes, les os, les fétiches et l’argent. Il le fit et aplanit la terre jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à voir. Il restait maintenant encore un jour avant le début des réunions. 

Entretemps, la foule qui campait autour du terrain comptait près de 50 000 personnes qui allaient à la rivière pour chercher de l’eau, se laver et faire la lessive. Ils avaient construit un village avec même un marché où on échangeait et troquait. Des vaches, des chèvres, et des poules étaient abattues et vendues. Des feux de cuisine brûlaient d’un grand éclat pendant la nuit, mais personne ne s’approcha de l’arbre sacré qui était tombé pour utiliser ses branches pour le feu. Chacun semblait attendre l’événement principal-l’arrivée de Reinhard Bonnke qui prêcherait l’Évangile.

Près de 100 000 personnes se serraient les unes contre les autres en face de la plate-forme lorsque les réunions commencèrent le premier soir. Le terrain était illuminé jusqu’aux berges de la rivière par nos générateurs et nos tours du son et lumière. Je souris en voyant que l’endroit où s’était trouvée la maison du docteur-sorcier, était maintenant recouvert d’une masse de visages pleins d’attentes, anxieux d’entendre le message du Salut. Soudain, le ciel s’ouvrit. Un éclair toucha un arbre qui se trouvait sur le terrain. Puis une pluie torrentielle s’abattit sur tout le monde. Reinhard était trempé jusqu’aux os, son parapluie était en piteux état. Mais il avait toujours le micro en main et continua de prêcher malgré le vent qui avait renversé quelques-uns des moniteurs de son de l’estrade.

Après vingt minutes, la pluie cessa et nous avons vu une réponse incroyable à l’Évangile. Des yeux aveugles furent guéris et des miracles démontrèrent la puissance de Dieu à la foule. La joie d’un Évangile d’amour, de lumière et de vie contrastaient vivement avec la peur et la superstition qui avaient retenu les gens sous leur emprise jusqu’à maintenant. Pendant les cinq jours de la campagne, 870 000 personnes se tinrent sur le terrain où la maison du docteur-sorcier avait un jour dominé. Nous avons enregistré 527 810 décisions pour Jésus.

Au début de la soirée finale de la campagne, le roi tribal sortit de la forêt, porté sur la chaise pour saluer Reinhard. Son entourage amena une vache toute blanche pour l’offrir à l’homme de Dieu. À nouveau, lorsque le roi se leva de sa chaise pour venir sur la plate-forme et s’adresser à la foule, ses porteurs se prosternèrent sur le sol pendant que ses femmes s’agenouillèrent devant lui. Reinhard salua le roi et le laissa parler. Dans sa langue natale, le roi dit à Reinhard que la foule exprimait sa gratitude envers l’homme qui avait amené le message de l’amour, du pardon et de la restitution. Reinhard accepta le don, et le roi resta pour entendre la prédication et voir les miracles qui suivirent.

Le jour suivant, il nous fallut jusqu’au soir pour démonter l’équipement et le charger dans les conteneurs pour l’événement suivant. Nous avons travaillé avec l’équipe locale comme d’habitude pour accomplir la tâche. Pour finir, à la tombée de la nuit, nous avons fini notre travail et avons décidé de passer encore la nuit sur place avant de retourner à Lagos. Au jour levant, nous avons pris un petit-déjeuner froid et nous nous sommes préparés à partir. Boafo, Kwesi, Friday, Stephen, Mike et moi-même, nous avons joint nos mains pour remercier Dieu pour la grande victoire qu’Il nous avait donnée sur l’ennemi dans cette région éloignée. Alors que nous priions, nous avons entendu un bruit de hache qui prit de plus en plus d’ampleur.

Boafo me bouscula à l’épaule pour me montrer l’arbre sacré. Plusieurs groupes d’habitants locaux étaient venus de la forêt avec des haches. Ils coupaient les branches de ce qui un jour avait été leur arbre sacré. Sans aucun doute, ces petits gestes étaient les premiers coups qu’ils envoyaient à la superstition qui les avait oppressés pendant des générations. 

Nous sommes montés dans nos véhicules et nous avons lentement mis en route les soixante-dix tonnes de matériel d’évangélisation pour le long voyage à la maison. En passant devant l’arbre effondré, nous avons salué les gens qui travaillaient là, et avons été heureux de voir qu’ils nous saluaient aussi avec de grands sourires et une vraie joie sur leurs visages.

« J’aime quand les gens transforment leur peur en bois de chauffage. Pas toi, Boafo ? »

« Moi aussi j’aime çà, chef ».

Extrait du chapitre 30 du livre de Winfried Wentland, 
Directeur de Terrain CfaN